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Les Amazoniques

Doris Dokmak

Ring

  • Conseillé par
    26 mai 2015

    Magnifique roman !

    Magnifique roman !Et je pèse mes mots. Quel pied j'ai pris à suivre le lieutenant Saint-Mars, dit SM, dit La Marquise, dans ses recherches et dans sa découverte de mondes totalement inconnus de lui -et de moi. Le voyage de SM m'a instantanément fait penser au voyage de Ferdinand Bardamu (dans Voyage au bout de la nuit, entre l'Afrique et New York) ou celui de Willard dans Apocalypse Now : poisseux, violent, chaud, humide, insupportable, peuplé de bestioles toutes plus piquantes ou mordantes les unes que les autres, pour certains des souvenirs que j'ai de ces deux chefs d'œuvres eux aussi, partiels sûrement, je devrais les relire ou les revisionner.

    Le roman de Saint-Mars débute doucement, une arrestation un brin musclée d'un pervers avec le bras long suffira pour l'envoyer enquêter à Cayenne. Ensuite, prise de contact avec la Guyane, questions qui restent sans réponse, difficulté de préparer son excursion sur le Rio car une équipée américaine a réservé tout le matériel et les hommes disponibles, tout cela prend du temps. Même lorsqu'il a enfin trouvé le bateau et ses maigres équipage et équipement, la croisière sur le Rio est lente, semée d'embuches, mais jamais on ne s'ennuie, au contraire. Quelle ambiance, la tension est palpable, la peur, l'angoisse itou.

    Le style et l'histoire sont envoûtants, fascinants et rien n'arrête le lecteur dans sa soif de tourner les pages. SM s'en prend plein la figure -et ailleurs-, mais on ne s'en plaint pas, il n'est ni sympathique ni antipathique, il fait son boulot sans se poser de questions, il torture si besoin, a recours à des méthodes discutables comme ses opposants. Boris Dokmak nous apprend plein de trucs sur l'Amazonie, sur la vie difficile, sur l'esclavagisme, sur l'exploitation des populations locales par les exploitants du caoutchouc, sur l'extinction des tribus et notamment celle des Arumgaranis. Basé sur une histoire vraie : les Américains qui mènent des expériences médicales et pseudo-scientifiques sur tout un peuple d'Amazonie, l'exterminant -selon les éditeurs, ils ne reconnaissent toujours pas aujourd'hui avoir leurs pratiques sur ce peuple d'Amazonie .

    Un roman foisonnant entre aventures, policier, ethnographie, espionnage, thriller absolument bluffant qui m'a scotché de bout en bout et me laissera, sûr, des images au moins aussi fortes que les deux œuvres auxquelles je faisais allusion au départ de mon billet. Une belle langue qui emprunte à plusieurs registres, des onomatopées pour décrire des cris, des bruits, Boris Dokmak fait preuve d'une plume très personnelle qui me ravit et transporte son lecteur en plein cœur de son récit : on sent les odeurs, l'humidité, pas la douleur mais pas loin...

    Conseil d'ami : courez chez votre libraire, vous ne devez pas le rater.


  • Conseillé par
    10 avril 2015

    Extraordinaire épopée dans la jungle amazonienne

    Ouvrir Les Amazoniques, c'est pénétrer un monde, laisser ses repères et tenter de suivre le héros dans son calvaire liquide et grouillant.

    Saint-Mars, le bien nommé, soldat perdu d'un empire colonial en haillons après avoir perdu l'Indo et l'Algérie, ultime rejeton d'une petite noblesse qui voit son univers d'étrécir d'année en année, ses valeurs devenir obsolètes et son influence fondre au profit d'une bourgeoisie toujours plus avide de fric et de respectabilité, retrouve un peu d'estime de lui dans la police où il a fini par échouer après ses défaites successives. Mais, là aussi, les temps sont à la compromission face à l'argent, à la soumission hiérarchique plutôt qu'au respect rigoureux de la mission confiée.

    Berné, il part en Guyane, sur une enquête pourrie dès le départ par le peu d'indices et d'empressement des autorités à lui venir en aide. Il va peu à peu s'enfoncer dans la sauvagerie, étape par étape, presque centimètre par centimètre. Il va éprouver physiquement une transformation de tout ce qu'il a toujours connu, une évaporation de ses certitudes, mené seulement par un ultime vestige de conscience, la bouée qui l'empêche de se noyer totalement, qui l'identifie encore : résoudre cette affaire de meurtre.

    Un séjour à Santa Margarita, antichambre de l'enfer, ses bourgeois et notables pathétiques dans leurs misérables tentatives de pseudo-vie sociale là où la société n'existe plus. Ses putes énigmatiques et voilées, le visages ravagé d'une immonde maladie, usines à fantasmes. Et les barbouzes déloyales et veules, scorpions lâches et redoutables, puis inévitablement, la confrontation à la forêt amazonienne, le poumon de la terre, étouffant, irrespirable et sombre comme la fin des temps.

    Un périple surhumain, épuisant, au fil d'un fleuve capricieux, fatal, une faune féroce, une touffeur insupportable, un air chargé de vermines voraces coupant un souffle déjà rendu pénible par le mur d'humidité qui ronge tout. La jungle entière et la saison des pluies harcèlent S.M., son chien sauvage Ducon et son équipage. Rien ne résiste longtemps, tout se corrompt à une vitesse vertigineuse, le métal, les corps, le bois ou le moral et les valeurs des hommes... L'horreur n'est plus qu'une péripétie du quotidien. Tous les codes explosent dissous dans le ruissellement perpétuel et la température de four, le danger permanent et l'angoisse. La seule question, peut-être, n'est pas de savoir si l'on va mourir mais comment, le reste...

    Le récit est parfait, le style aussi fort que le taux d'hygrométrie des terres inconnues arumgaranis. Dokmak est philosophe, cela se sent, il y en a qui laissent ici des plumes. Rousseau et ses bons sauvages, Marx, Proudhon et Bakounine et la théorie de la violence née de la propriété privée, seul surnage quelque peu Céline et un Bardamu qui aurait pu divaguer dans ce labyrinthe infect. Remarquez, comme penseur optimiste, Céline, y a mieux, mais la démesure et la folie qui habite ce bouquin ne sont pas sans rappeler l'ermite de Courbevoie. C'est la plasticité de l'âme humaine qui grandit ce voyage au bout de la vie, cette capacité à toujours transmettre, à nommer, à s'accrocher même dans la souffrance et à transcender les différences pour tenter de comprendre aussi vain que cela fut.

    Il y a bien une histoire, une saloperie que des humains amoraux et retors infligent à des indiens naïfs et curieux, des barbouzeries de CIA, des merdes pseudo-scientifiques, elle aurait suffit à un bon thriller, c'est tout le reste qui rend ce roman exceptionnel !

    Un livre protéiforme où chacun prendra ce qu'il vient y chercher : aventures, polar, thriller, doutes, illusions, hallucinations, anthropologie, tout y est et tout est bon ! Jamais le sentiment d'un patchwork cependant, l'ensemble est cohérent et puissant. Les odeurs tenaces de moisissures ou de mort, l'angoisse et la vie, l'enchevêtrement de l'onirisme, des hallucinations et de la réalité la plus crue perturbe parce qu'il faut se laisser déstabiliser pour entrer dans cet univers incroyable.

    Bref, en résumé, un très grand bouquin qui devrait être LE thriller de l'été, celui qui va peupler vos après-midi paresseux de moustiques gros comme le pouce, de pirates ignobles et d'une eau qui efface sans relâche les saloperies des hommes et délave l'encre des pages pour laisser la place à une nouvelle histoire.

    Suite de la chronique et musique du livre sur Quatre Sans Quatre (http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-les-amazoniques-de-boris-dokmak-1428504875 )