Un soir de noël figé
Dans son dernier roman, Carole Martinez, visionnaire et entreprenante, nous plonge dans un univers à la fois merveilleux et cruel, où son écriture envoutante et poétique sert de vecteur à un conte prophétique d’une audace impressionnante.
Eva, en fuite avec sa fille Lucie, se réfugie dans les marais, se coupant du monde. Cette liberté retrouvée au cœur de la nature la rapproche davantage d’une enfant qu’elle ne désirait pas mais qui est devenue son horizon, sa raison d’être. Elles rencontrent les oies, Serge et sa radio.
Soudain, les rêves de Lucie se propagent à tous les enfants du monde, déclenchant d’étranges phénomènes menaçant l’humanité. La radio incarne la voix du monde extérieur, incapable d’endiguer la catastrophe imminente.
L’auteure joue habilement avec les mythes, convoque des symboles et trouve un équilibre subtil entre dystopie onirique et thriller. La grâce de son écriture poétique enchante par sa magie et son imaginaire.
Les chapitres révélant les fantômes de Serge et ceux installant la violence sont particulièrement hypnotisant, la tension s’enroule autour du lecteur avec grâce et suspense.
Ce récit constitue une véritable alerte.
« J’héberge en mon sein un être silencieux et invisible qui se nourrit de moi, me pille, me dévaste, une inconnue que je suis sensée aimer avant même de la mettre au monde »
« Le rêve collectif n’avait rien d’intime, elle le partageait avec tous les enfants du monde. Je pouvais tenter d’y circuler sans culpabilité »
…. Les trois oies de Lucie sont envolées. Miria les a vues prendre leur envole entre mes jambes, il lui a semblé qu’elles s’échappaient de mon corps à tire-d’aile avec nos douleurs pour gagner le bleu crépusculaire de ce ciel de mai »
Amy laustair
Londres
1946
Au chevet d’Anna Freud, la narratrice recueille les épisodes de la vie privée d’une jeune fille au sentiment d’infériorité qui aspirait à devenir une femme avec une activité sociale et une raison d’être.
Bafouée car grandissant différente des autres, éclipsée par l’influence paternelle et leur relation fusionnelle interdépendante, non reconnue car se détournant du plaisir conventionnel ; Anna finira par marquer les esprits par sa psychanalyse bienveillante des enfants.
La vie de cette famille captive autant que l’évolution d’une science qui se veut apolitique face au nazisme grandissant. Le thème de la psychanalyse, romancé à souhait, est rendu très accessible par l’écriture fluide et maitrisée de l’auteure.
Cette biographie parvient à donner de la lumière au portrait d’une femme qui aurait mérité de s’épanouir davantage.
« On m’avait embauchée pour n’être qu’un fantôme et c’était l’inverse qui se produisait. En jouant le rôle d’une autre, je me rapprochais de mon histoire »
« Chacune leur tour, les femmes de la nursery vinrent me livrer leur version de cette guerre qui avait épuisé Anna. »
Le marin le plus triste au monde défiant la mort
Virginia Tangvald explore l'héritage complexe laissé par son père, Peter Tangvald, un marin intrépide et insaisissable, en s’appuyant sur des témoignages, des courriers et divers documents.
A travers une enquête intime et douloureuse, elle reconstitue l'histoire tragique de sa famille, marquée par les nombreuses pertes en mer, tout en dressant le glaçant portrait d’un homme obsédé par la liberté au point de défier les lois de la terre, un personnage à la fois fascinant et destructeur.
Son frère Thomas, seul survivant, « ne s’est jamais libéré de la cabine dans laquelle il avait été enfermé toute son enfance. Que cette prison, il la portait partout » Une fratrie fragilisée et liée à jamais par la tragédie.
Ce texte puissant et bien écrit, empreint de douleur, est d’une grande sincérité, dépassant l'autobiographie pour offrir une réflexion profonde sur les liens familiaux et la quête d’identité.
Il s’agit d’une quête désespérée pour comprendre et exorciser les traumatismes de l’enfance et tenter d’en panser les cicatrices ; un glaçant portrait d’un homme défiant les lois de la terre.
« J’avais peur du néant que représentait mon apatridie. »
« ….Et je suis née, gluante, dans les mains de mon père, dans le creux de son rêve sur l’eau, là où il est impossible d’avoir des racines »
« A mesure que le temps passait, le rêve de ma mère fanait tandis que mon père s’enfermait dans son monde »
« Parfois, on est amené à payer les dettes du passé sans le savoir »
La vie liquide
Christine Barthe nous expose l'histoire troublante de Lucie et Anaïs, deux nageuses, sœurs de cœur et coéquipières, dont l’une se noie.
Alternant entre l'interrogatoire de Lucie, désormais suspecte, et des extraits de son journal intime, l'auteure construit un récit cherchant à éclairer progressivement le mystère.
Les chapitres relatifs à la garde à vue manquent de vraisemblance, notamment à cause de dialogues péremptoires peu crédibles entre un inspecteur trop pugnace adaptant sa méthode d’interrogatoire au répondant de Lucie qui, malgré sa confusion, réagit avec une assurance étonnante. Cette dynamique affaiblit le suspense pourtant central à l’intrigue.
En revanche, les extraits du journal de Lucie sont bien plus aboutis, l’eau y est omniprésente, servant de fil conducteur pour décrire une véritable communion, voire une addiction, avec le milieu liquide. Le roman est bien écrit, offrant une lecture fluide et agréable grâce à son style clair et concis.
« Zygmunt Bauman appelle notre façon d’être « la vie liquide » car nous avons aujourd’hui un besoin viscéral de vivre dans la rapidité, de jeter après utilisation, de passer à autre chose à la vitesse de l’éclair »
« Personne ne peut comprendre ce que j’ai ressenti le jour où j’ai coulé, et ensuite, quand tout mon corps s’est mis à épouser l’eau »
« M’éloigner d’Anaïs, c’est nous donner la chance d’un équilibre, la possibilité de vivre chacune sa propre vie, sans obliger l’autre à être soi »
L’art du citoyen
Le roman de Norman Jangot est une œuvre d’anticipation audacieuse qui plonge le lecteur dans les méandres d’un Paris post cataclysme, toile de fond d’une intrigue complexe mêlant l’art à la cupidité. Une histoire où des individus dotés de pouvoirs spéciaux post impact, les Pythons, traquent des assassins.
L’auteur nous guide sur un jeu de piste créant une expérience inédite.
Nathaniel Loppe, personnage principal charismatique et tourmenté, secondé par Milo, est à pied d’œuvre pour trouver le point commun entre trois victimes. L’utilisation narrative intercalant le journal du tisseur enrichit l’intrique.
Malgré quelques ralentissements dus à la profusion des dialogues, filatures et interrogatoires, l’intrigue prend forme et aboutit à une fin satisfaisante dans ce cadre post catastrophe.
« La glinglin fut la première bière à être brassée dans les conduits par un artisan du nom de P.G. Après nous avoir envié la tour Eiffel, les baguettes, le pain et l’accordéon, on voulait dorénavant goûter l’authentique Glinglin venue des profonds du ventre de la capitale de la poésie française «
« Les gens ne consomment plus comme avant. Les gens chinent. Aujourd’hui, les gens adorent se parer des vestiges du passé »