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Eric R.

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8 septembre 2023

Tentaculaire et prodigieux

Victor Del Arbol nous avait conquis avec La tristesse du Samouraï dans lequel l’écrivain, sur fond de franquisme, démontrait combien les secrets familiaux pouvaient emprisonner dans leurs vies, des hommes et des femmes d’aujourd’hui.
Passé, secret, famille, on trouve les mêmes mots clés dans Le fils du père dont le titre dévoile déjà une partie du livre. Il s’agit bien au cours de ces 350 pages addictives et denses, de remonter l’histoire d’une famille. Du fils vers le père, mais aussi du père, vers le grand père. Trois hommes violents, trois hommes qui utilisent leurs mains, leurs armes, leurs mots pour anéantir ceux qui les entourent. On remonte en 1936, à la confrontations des anarchistes avec les futurs phalangistes, des riches propriétaires terriens avec les paysans. Sur le front russe, le grand-père deviendra meurtrier. Le fils partira tour dans la Légion étrangère et couvrira ses mains de sang. Le petit fils, enseignant à l’université semble, par son métier pouvoir échapper à la malédiction. Il semble, car dès les premières lignes, aucun doute n’est permis: Diego a tué un homme de deux balles dans la tête.
Peut on s’extraire d’une malédiction familiale? De carences affectives qui se perpétuent de génération en génération? L’auteur fait preuve d’une technique diabolique utilisant à merveille les flash-backs pour construire un gigantesque puzzle de sang que le lecteur reconstruit chapitre après chapitre.
A la lecture de ce livre noir, le lecteur ne raisonne pourtant plus en noir et blanc, en bien et mal. Une ultime révélation dira combien ce que l’on croit être la vérité sur laquelle on fonde son jugement peut être un mensonge. Tout est beaucoup plus complexe que les apparences, que la vision enfantine d’un univers d’adultes brinquebalant.

Conseillé par (Libraire)
1 septembre 2023

Faire revivre l'histoire effacée

« Il y a eu de nombreux pogroms en Roumanie. Aujourd’hui encore peu de roumains le savent ». Cette phrase, Adèle Codreanu, journaliste un peu déjantée, va l’entendre souvent lorsqu’elle se rend dans le pays natal de ses parents, anciens communistes qui se sont exilés à Paris à l’été 1983. Elle, qui obtient par sa beauté notamment, tout ce qu’elle veut des hommes, va se rendre pour son journal à Bucarest, obligée d’abord, puis tentée intimement, de renouer le fil avec un passé familial secret et tu depuis des décennies. Elle se déplace à Bucarest et Iasi, deux lieux où a vécu sa famille sur les traces desquelles elle pense aller, mais où elle va finalement chercher, après une rencontre imprévue, des traces et des témoignages éclairant le massacre des juifs. Des lieux qui parlent aux lecteurs de Lionel Duroy, lui qui de lectures en lectures arpente, y compris à vélo, cette région de l’Europe un peu mystérieuse et inconnue à beaucoup de français. On se rappelle que dans son livre Eugenia, s’inscrivant dans les pas du romancier Mihail Sebastian, l’écrivain avait décrit en détails la journée du 29 juin 1941 à Iasi, où furent assassinés 13 226 juifs. Reprenant cette thématique il élargit cette fois-ci le spectre en convoquant, comme à son habitude, des livres et des écrits notamment ceux de Aharon Appenfeld et de Edgar Hilsenrat.

Adèle va suivre le processus habituel chez Duroy. Lire, se documenter et puis confronter ces écrits avec les lieux évoqués, à la recherche de traces ou de témoignages. Cette quête sur place est hallucinante tant elle révèle comment la mémoire collective d’un pays est capable d’effacer le massacre, le génocide de plus d’un demi million de personnes. Les stèles, les monuments sont rares et toujours placés dans des endroits peu accessibles ou dissimulés à la vue quotidienne des citadins. Quant aux habitants, leur histoire, celle de leur famille ou de leur habitation, elle débute en 1945 lors du passage dans le giron soviétique. Aucun propriétaire antérieur, aucun nom, aucun meurtre. Et même aucun juif. Une amnésie générale que l’Histoire utilise parfois mais rarement à ce stade de négation.
Il y a de nombreuses manières de tuer. Les juifs roumains ont été placés dans ces zone d’ombres qui les ont assassinés deux fois. D’abord par les roumains qui les ont éliminés physiquement, de manière trop sales et trop voyantes d’ailleurs pour les nazis. Par les russes ensuite qui les ont effacés de la mémoire collective.

Qui n’a pas raconté est complice. Adèle, qui reniait le passé de ses parents, dont elle ne voulait rien connaître, va remonter le temps. Si elle n’a pas vu, elle a désormais lu et su. Elle doit à son tour témoigner. Le « Je » va laisser la place au « Nous », la jeune femme s’appropriant peu à peu les responsabilités de sa famille, et même de sa nation d’origine, pour devenir à sa manière, une roumaine, remplaçant la française de naissance. On retrouve ainsi une autre thématique chère à Lionel Duroy, la famille, ses clairs obscurs et la volonté d’affronter une ascendance constituée de salauds, celle que l’écrivain racontait dans l’Hiver des Hommes, à la quête du destin et de la vie des enfants de criminels de guerre. Adèle va répondre à sa manière à cette prise en charge personnelle des crimes de son grand père. Elle décide de consacrer sa vie à ressusciter la mémoire des juifs oubliés, une recherche de responsabilités comme une forme de thérapie, de catharsis.

Pourtant Adèle-Lionel, ne pourra jamais expliquer comment un homme banal rencontré dans la rue ou au bistrot la veille, peut abattre d’une balle dans la tête un enfant épuisé, tenant à peine debout dans le froid de la nuit et, dans la minute même, allumer une cigarette en éclatant de rire à une plaisanterie banale de son voisin. Ces récits abyssaux de violence et d’inhumanité ne doivent leur existence dans la mémoire des hommes que par les textes de quelques écrivains.

« Cela m’est indifférent que nous entrions dans l’Histoire comme des barbares » avait prévenu Mihai Antonescu le vice-président du conseil roumain. Cette barbarie Lionel Duroy, de livre en livre, cherche à la décrypter pour tenter d’en déceler l’origine. Une inhumanité insondable et improbable, pourtant réalisée de multiples fois dans l’Histoire. Une inhumanité qu’il faut dire et raconter pour mieux la combattre car elle se tapie toujours au coin de la rue. Ou au bistrot du coin.

22,50
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30 août 2023

Humain et émouvant

« J’écris pour partager les blessures » déclarait en 2019 Sorj Chalandon. Une phrase, comme un mantra, qui traverse tous les romans de l’écrivain journaliste depuis son premier ouvrage « Le Petit Bonzi ». Partager la douleur de son enfance, dans ses textes autobiographiques quand la violence du père détruit l’amour d’un fils. Partager les blessures des autres comme ses romans irlandais, s’appuyant sur son expérience de journaliste sur place. Partager les blessures des pauvres comme celles des mineurs de « Le jour d’avant », racontant la souffrance des gueules noires lors de la catastrophe des Houillères de 1974.

Partager les blessures, c’est encore que que fait dans L’Enragé, Sorj Chalandon. Cette fois-ci, il s’agit de blessures infligées à de jeunes « marginaux » internés dans la Colonie pénitentiaire de Belle-Île en Mer, colonie pénitentiaire qui est en fait un véritable bagne pour enfants, petits délinquants, orphelins. Il s’agit ici du sort d’un petit paysan mayennais, abandonné par sa mère à l’âge de cinq ans, ignoré de son père, et non élevé par des grands parents. Son premier crime: un vol de trois oeufs. Son second: regarder deux frères se venger de la mort injuste de leur famille. Et se retrouver ainsi à treize ans dans cette colonie. Il s’appelle Jules Bonneau, un patronyme qui le place d’emblée dans ces révoltés, ces marginaux, qui font tant peur à cette bonne société des années trente. Un enragé.

Le Petit Bonzi avait pour défaut majeur, le bégaiement, celui que Chalandon avait lui aussi enfant. Jules Bonneau, dit la Teigne, a comme défaut majeur, l’envie de sauver sa peau, une envie que Chalandon a eu probablement lors des crises de violence de son père. « Tout ce que j’écris, je le vis. Je n’ai pas envie de faire pleurer ou qu’on me plaigne, je veux partager ce que ressent ce gamin » dit Chalandon. Partager à nouveau les blessures occasionnées par l’absence d’amour, l’avilissement d’enfants qui n’ont comme défaut majeur que d’être né du mauvais côté de la société. Dire cette souffrance extrême et entamer la vengeance.

Le partage des blessures a en effet chez Chalandon, un pendant: celui de la résistance. On peut appeler cela aussi la Justice. Le besoin de Julien est terrible, à la hauteur des sévices subis. Il répond au sang par le sang. Aux coups par les coups. Mais cette vengeance est un rêve, un exutoire, une manière de quitter la réalité sordide et de s’imaginer, un moment, plus fort, plus aimé que l’on ne l’est en réalité. Comme le héros du Jour d’Avant qui voulait punir les Houillères, Julien va vouloir punir tous ces garde-chiourmes appelés honteusement « moniteurs » , ces petits potentats locaux, ce prêtre qui rêve de Rome. En rêve vraiment? En réalité plutôt? Julien n’est pas un Saint. Comment peut on l’être après avoir subi tant de haine et n’avoir pour seule trace d’affection qu’un ruban de soie accroché à son poignet d’enfant par sa maman? Il n’est pas un ange et il n’en est que plus attachant, plus vrai.

Comme toujours l’auteur s’appuie sur la réalité, sur des faits. Souhaitant être irréprochable, il part cette fois-ci de recherches personnelles sur cette « colonie » de Belle-Île et notamment d’un article de presse de 1934 qui évoque « l’évasion des vauriens » de la colonie, cinquante cinq auraient été repris. Un cinquante sixième n’aurait jamais été repéré. Ce cinquante sixième Chalandon le retrouve, lui donne un nom, un surnom, un physique, un caractère. Il sera L’Enragé. Ecrivant au plus près des faits réels, l’auteur glisse ses mots dans les interstices de l’Histoire, il imagine les creux laissés par l’empreinte du temps. Il le fait toujours avec une empathie et un amour des faibles écrasés par les forts, des oubliés comme ces pêcheurs de sardines avec qui l’on partage la marée, le dur labeur mais aussi la connivence du silence et de l’amitié. Il le fait avec la connaissance d’une souffrance intime qui n’a jamais dû le quitter.

La Teigne dit: « Personne jamais, ne parlera de cette solitude. De cette misère. De l’immensité d’une nuit sans toit lorsqu’on dort sous le ciel. De la rosée du matin, qui perle sur la veste d’un pauvre ». Personne? Si Sorj Chalandon qui, une fois de plus, rend hommage aux opprimés avec un amour gigantesque, plus grand que celui qui leur a été jusqu’alors chichement offert. Et surtout avec les mots justes pour dire cet amour.

21,90
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24 août 2023

Magnifique de tendresse

Ce dernier roman de Serge Joncour commence comme un air de déjà lu. On y parle des tempêtes de la fin du siècle précédent. On y voit des paysages du Lot, de Dordogne. On entend les meuglements des vaches dans les prés d’une campagne qui se désertifie. On observe surtout et encore une famille. Des parents agriculteurs en retraite, un frère, Alexandre, rencontré il y a dix ans dans « L’Amour sans le faire », qui a repris l’exploitation et trois soeurs qui ont fui la campagne pour rejoindre la ville. Cela ressemble à une suite du magnifique roman précédent, Nature Humaine, Prix Femina 2020.

Mais alors que ce dernier récit orchestrait presque trente ans d’histoire nationale de la sécheresse de 1976 à la tempête de 1999, le temps raconté cette fois-ci est beaucoup plus court, deux mois seulement, du 25 janvier 2020 au 29 mars 2020, deux mois qui parlent encore à toutes et tous, deux mois inimaginables, deux mois insensés, ceux de l’arrivée de la Covid et des semaines de confinement. Pourtant, rétrospectivement, les Fabrier de Nature Humaine annonçaient à travers les lignes, ce dérèglement de la vie sur terre. Ils percevaient une humanité en péril dans laquelle les grands équilibres naturels n’étaient plus respectés. Comme si Serge Joncour avait deviné avant 2020 la catastrophe à venir, d’un univers en pleine décomposition.

En ce début de 2020, ils sont incrédules les membres de la famille élevés aux Bertranges, cette ferme du Lot qu’exploite désormais seul Alexandre. On se moque et on regarde ébahis au Journal Télévisé les rues désertes d’Italie. On ne craint rien dans ce coin reculé de France où l’on se rencontre essentiellement au super marché du coin au moment de faire les courses de la semaine. C’est un peu plus embêtant pour les trois sois soeurs fâchées qui ont quitté le pays pour les villes, Toulouse, Rodez ou Paris, désireuses de fuir la terre ou même de quitter la famille, cette famille un peu en retard sur son temps, plus soucieuse de la météo et du changement climatique que du dernier Tweet d’un président américain décadent.

« Il en va des familles comme de l’amour, d’abord on s’aime, puis un jour on n’a plus rien à se dire, signe qu’on doit changer profondément ».

Ce changement nécessaire, ce satané virus va peut être l’imposer et devenir le catalyseur d’une belle réconciliation familiale. D’abord en faisant revenir tout le monde au bercail où la vie de toutes et tous a débuté. Dans cette ferme, il va falloir composer, accepter les autres et leurs différences, retrouver peut être le souvenir d’une enfance heureuse, en conjurant les peurs que ressuscite la pandémie.

L’auteur d’origine paysanne est monté lui aussi à la ville et dans nombre de ses romans, ses personnages par mimétisme, cherchent une nouvelle place. Pourtant le récit ne se transforme pas en plaidoyer manichéen entre les bons ruraux et les mauvais urbains et Serge Joncour préfère jeter un regard distancié et ironique sur les évènements, à l’image de ce beau frère, un temps leader et animateur des Gilets Jaunes jusqu’à ce que les trop nombreuses manifestations du samedi obèrent son chiffre d’affaires de commerçant. La vie est plus complexe qu’un « c’était mieux avant » ou « la campagne c’est mieux que la ville ». Le roman aussi.

Regard interrogatif, Serge Joncour ne devient pas non plus journaliste reporter. Il dit des faits, dont on s’aperçoit d’ailleurs à la lecture combien nous les avons mis rapidement en sourdine, mais surtout il raconte des êtres humains ordinaires pris au piège de vies à construire entre rêves, fantasmes et réalité brute. Ils sont attachants et touchants les personnages du roman parce qu’ils sont vrais et nous ressemblent tellement. On les voit vivre devant nous, on a envie de les embrasser, de les étreindre ou de les rejeter, perdus qu’ils sont coincés entre la grande histoire collective et leurs modestes destins individuels.

Serge Joncour se plait de plus en plus à devenir le chroniqueur de notre époque. Il examine le présent et les tentatives de passer d’un lieu à l’autre. Les Fabrier, les Bertranges, Alexandre, Caroline et les autres racontent, de romans en romans, une nouvelle comédie humaine, celle de ce début de siècle. Nature humaine, Chaleur humaine. On pourrait déjà suggérer le titre du prochain roman: Tendresse humaine. Ou Amour tout simplement, ce joli mot qui rime tant avec Joncour.

22,50
Conseillé par (Libraire)
23 août 2023

L'un des meilleurs Chalandon. Bouleversant !

« J’écris pour partager les blessures » déclarait en 2019 Sorj Chalandon. Une phrase, comme un mantra, qui traverse tous les romans de l’écrivain journaliste depuis son premier ouvrage « Le Petit Bonzi ». Partager la douleur de son enfance, dans ses textes autobiographiques quand la violence du père détruit l’amour d’un fils. Partager les blessures des autres comme ses romans irlandais, s’appuyant sur son expérience de journaliste sur place. Partager les blessures des pauvres comme celles des mineurs de « Le jour d’avant », racontant la souffrance des gueules noires lors de la catastrophe des Houillères de 1974.

Partager les blessures, c’est encore que que fait dans L’Enragé, Sorj Chalandon. Cette fois-ci, il s’agit de blessures infligées à de jeunes « marginaux » internés dans la Colonie pénitentiaire de Belle-Île en Mer, colonie pénitentiaire qui est en fait un véritable bagne pour enfants, petits délinquants, orphelins. Un récit qui se passe dans ces maisons de redressement et donne envie aux lecteurs de serrer les poings, de combattre la nausée qui vient pour refuser les injustices physiques ou morales sur des enfants ou adolescents détruits par la violence des adultes. C’est bien de cela qu’il s’agit ici. En l’occurence le sort d’un petit paysan mayennais, abandonné par sa mère à l’âge de cinq ans, ignoré de son père, et non élevé par des grands parents. Son premier crime: un vol de trois oeufs. Son second: regarder deux frères se venger de la mort injuste de leur famille. Et se retrouver ainsi à treize ans dans cette colonie. Il s’appelle Jules Bonneau, un patronyme qui le place d’emblée dans ces révoltés, ces marginaux, qui font tant peur à cette bonne société des années trente. Un enragé.

Le Petit Bonzi avait pour défaut majeur, le bégaiement, celui que Chalandon avait lui aussi enfant. Jules Bonneau, dit la Teigne, a comme défaut majeur, l’envie de sauver sa peau, une envie que Chalandon a eu probablement lors des crises de violence de son père. « Tout ce que j’écris, je le vis. Je n’ai pas envie de faire pleurer ou qu’on me plaigne, je veux partager ce que ressent ce gamin » dit Chalandon. Partager à nouveau les blessures occasionnées par l’absence d’amour, l’avilissement d’enfants qui n’ont comme défaut majeur que d’être né du mauvais côté de la société. Dire cette souffrance extrême et entamer la vengeance.

Le partage des blessures a en effet chez Chalandon, un pendant: celui de la vengeance, de la résistance. On peut appeler cela aussi la Justice. Le besoin de Julien est terrible, à la hauteur des sévices subis. Il répond au sang par le sang. Aux coups par les coups. Mais cette vengeance est un rêve, un exutoire, une manière de quitter la réalité sordide et de s’imaginer, un moment, plus fort, plus aimé que l’on ne l’est en réalité. Comme le héros du Jour d’Avant qui voulait punir les Houillères, Julien va vouloir punir tous ces garde-chiourmes appelés honteusement « moniteurs » , ces petits potentats locaux, ce prêtre qui rêve de Rome. En rêve vraiment? En réalité?

Comme toujours l’auteur s’appuie sur la réalité, sur des faits. Souhaitant être irréprochable, il part cette fois-ci de recherches personnelles sur cette « colonie » de Belle-Île et notamment d’un article de presse de 1934 qui évoque « l’évasion des vauriens » de la colonie, 55 auraient été repris. Un cinquante sixième n’aurait jamais été retrouvé. Ce cinquante sixième Chalandon le retrouve, lui donne un nom, un surnom, un physique, un caractère. Il sera L’Enragé. Ecrivant au plus près des faits réels, l’auteur glisse ses mots dans les interstices de l’Histoire, il imagine les creux laissés par l’empreinte du temps. Il le fait toujours avec une empathie et un amour des faibles écrasés par les forts, des oubliés comme ces pêcheurs de sardines avec qui l’on partage la marée, le dur labeur mais aussi la connivence du silence et de l’amitié. Il le fait avec la connaissance d’une souffrance intime qui n’a jamais dû le quitter.

La Teigne dit: « Personne jamais, ne parlera de cette solitude. De cette misère. De l’immensité d’une nuit sans toit lorsqu’on dort sous le ciel. De la rosée du matin, qui perle sur la veste d’un pauvre ». Personne? Si Sorj Chalandon qui, une fois de plus, rend hommage aux opprimés avec un amour gigantesque, plus grand que celui qui leur a été jusqu’alors chichement offert. Et surtout avec les mots justes pour dire cet amour.