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Dix jours qui ébranlèrent le monde. Essai, essai
EAN13
9782246753810
ISBN
978-2-246-75381-0
Éditeur
Grasset
Date de publication
Collection
Petite collection blanche
Nombre de pages
140
Dimensions
17,5 x 11,8 cm
Poids
143 g
Langue
français
Code dewey
303.49
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Dix jours qui ébranlèrent le monde. Essai

essai

De

Grasset

Petite collection blanche

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1.

Le jour où Gazprom lancera
une OPA sur Total

LE SECRET avait été admirablement gardé. Toutes les agences de presse ont reçu à 8 h 30, ce lundi 12 décembre 2011, donc avant l'ouverture de la Bourse de Paris, un communiqué en provenance de Moscou annonçant une offre publique d'achat de Gazprom sur Total, avec une prime de 30 % sur la moyenne des cours de bourse des six derniers mois et un paiement soit 100 % en cash, soit deux tiers en cash et un tiers en actions Gazprom.

A 9 heures, le Palais de l'Elysée diffusait un communiqué indiquant que cette opération était manifestement contraire aux intérêts nationaux et que le président de la République exprimerait donc dès ce matin son opposition auprès de MM. Medvedev et Poutine, respectivement président et Premier ministre de Russie. Le Monde bouleversait sa une et titrait sur six colonnes : « Raid russe sur Total ». Le Parti socialiste faisait part de son inquiétude et imputait la responsabilité de cet événement catastrophique à la politique « libérale et à courte vue » des pouvoirs publics. La CGT marquait sa vive préoccupation, mais sans doute influencée par le fait que la Russie est l'héritière de l'Union soviétique, la formulait sur un ton modéré. Les Verts s'offusquaient de voir s'affirmer sur la scène française le groupe industriel le plus anti-écologique du monde. Quant au président de Total, il indiquait, selon les codes en vigueur dans de telles circonstances, que non sollicitée, l'offre se heurterait à l'hostilité des actionnaires et des salariés, car elle était contraire aux intérêts de l'entreprise. Les médias se livraient à une surenchère sur le thème du retour de l'impérialisme « grand-russe » et les chroniqueurs se retrouvaient unanimes pour disserter sur les mérites de l'arme énergétique au regard de l'inutilité de la dissuasion nucléaire.

A Rome, la classe politique et le monde économique se réjouissaient que, paradoxalement plus précautionneux que la France supposée si colbertiste, l'Etat italien ait conservé 35 % du capital de l'ENI, de manière à mettre l'entreprise à l'abri d'une telle mésaventure. A Londres, c'était un soulagement hypocrite qui régnait au sein des états-majors de Shell et de BP, tels des paysans heureux d'avoir vu la grêle tomber sur le champ voisin. A Washington, le monde politique et les médias se félicitaient de l'existence d'une législation efficace qui avait, dans le passé, protégé Unocal des griffes chinoises et interdirait une agression de Gazprom sur le moindre pétrolier américain.

A Paris, pendant ces heures chaudes, les réunions de crise se multipliaient dans le plus grand désordre : à l'Elysée, à Matignon, dans les entreprises, au siège de Total, dans les bureaux des banquiers d'affaires, avocats, communicants, appelés à la rescousse par l'entreprise. De ce maelström n'émergeait aucune solution miracle. Une stratégie « Pac-Man », c'est-à-dire une OPA de Total sur Gazprom ? Impossible, puisque l'Etat russe possédait la majorité du capital de l'assaillant. La recherche d'un « chevalier blanc », c'est-à-dire d'une contre-offre, elle amicale ? Aucun pétrolier européen n'avait les moyens de surenchérir, sans mettre en danger son propre cours de bourse. Seul Exxon aurait eu, en théorie, la puissance requise mais la faiblesse du dollar vis-à-vis de l'euro et le risque de voir Gazprom augmenter le prix de son offre rendaient une telle opération trop coûteuse pour ses propres actionnaires. Quant à l'Aramco saoudienne, elle n'envisageait pas d'entrer dans une confrontation aussi directe avec la Russie, pour les « beaux yeux » d'une puissance moyenne comme la France. Restait l'hypothèse d'une nationalisation mais elle exigeait que l'Etat mette sur la table 200 milliards d'euros avec le risque d'alourdir une dette qui, du fait de la crise de 2008-2009, avait allègrement dépassé la barre mythique des 60 % du produit intérieur et commençait à inquiéter sérieusement les investisseurs internationaux.

Les autres interventions possibles de la puissance publique ressemblaient à des placebos : ni les spécificités de la loi sur l'approvisionnement pétrolier, ni l'existence d'une présence infinitésimale de Total dans l'univers nucléaire, ni la détention par le groupe pétrolier d'une banque de trésorerie ne permettaient de conduire davantage que des actions de retardement.

Vue avec un minimum de recul, la situation était limpide : Gazprom n'était que le bras séculier de l'Etat russe ; celui-ci était donc en première ligne et par ricochet c'était l'Etat français, bien davantage que l'entreprise, qui avait été agressé. Le marché était devenu un nouveau champ de bataille pour ces monstres froids que sont les Etats nationaux. L'appartenance à l'Union européenne n'apportait, de ce point de vue, aucune aide à Paris : l'absence de mécanismes de protection des entreprises stratégiques et la déréliction de la politique énergétique commune aboutissaient à laisser la France seule. Ce que l'OTAN aurait offert en termes militaires en cas d'attaque russe, Bruxelles ne pouvait l'apporter en matière énergétique.
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