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HHhH

Laurent Binet

Grasset

  • 8 avril 2010

    HHhH

    Merci à Laurent Binet pour HHhH, « merci » est mon premier mot à la lecture de ce livre émouvant et courageux. Pour moi ce livre est le croisement en activité de la bataille contre la bête immonde, en l’occurrence « la bête blonde », l’attentat contre le dangereux Heydrich, par deux résistants, un Tchèque et un Slovaque en mai 1942 à Prague, ville que l’auteur adore, et la bataille contre la pente inévitable de romancer les faits historiques lorsqu’on se donne comme tache de les exhumer, de les comprendre et de les raconter. Ce serait audacieux de prétendre que ces deux luttes traitent de la même chose, et pourtant Laurent Binet ne l’exclut pas, il s’agit de se battre contre la pente hideuse.
    Il se mouille, il progresse dans l’écriture en étant le plus précis possible, en indiquant ce qu’il enveloppe de ses propres fantasmes, ses visions, ses pentes, ses préférences, il donne au lecteur ses clés, il affirme que même ce qui parfois est si fou mais vraisemblable paraît inventé, alors que c’est absolument exact. Il nous prévient quand il brode, parfois il s’amuse à montrer ce que ça donnerait que d’échafauder, souvent plus pauvre que la dure réalité hasardeuse. Il piège le lecteur, juste pour qu’il se rende compte. Il montre comment on peut tellement facilement pousser sa chansonnette. Il ne veut pas romancer car il s’incline devant la fatalité de l’Histoire et à ce titre il donne infiniment plus à réfléchir. Il ne lâche pas sa cible : l’attentat. Il souffre des faits, il souffre que ce n’ait pas été autrement, et nous partageons sa souffrance. L’auteur crée le laboratoire de la question humaine. L’acte, le choix se fait dans le moment contingent, on ne peut savoir ce qui aurait été autrement, si autrement s’était présenté.
    Evidemment l’auteur cherche à coller à ce qu’il raconte donc à comprendre, saisir, approcher les possibles occurrences de la personnalité de Heydrich, la montée en puissance d’un des nazis les plus dangereux, celui qui a finit par fomenter la Solution Finale, qui a régné en maître absolu sur la Tchécoslovaquie occupée. En cherchant à ne pas sortir de la documentation avérée, à ne pas remplir les trous, les manques d’information, il donne cependant sa version, ses hypothèses, il brosse un personnage, il écrit un roman qu’il veut au plus près, documenté, il est en permanence sur le fil. « Inventer un personnage pour comprendre les faits historiques, c’est comme maquiller les preuves… introduire des éléments à charge sur le lieu du crime alors que les preuves jonchent le sol… » p.310. Pour Binet celui qui s’appuie sur une histoire vraie, (je le paraphrase) qui en exploite les éléments romanesques, invente allègrement quand cela peut servir la narration sans avoir de comptes à rendre à l’Histoire. (je cite) Un tricheur habile. Un prestidigitateur. Un romancier quoi. p.255.
    J’ai trouvé dans ce livre la plus juste critique du livre de Jonathan Littell que je n’avais lue nulle part. Laurent Binet s’inscrit en faux contre quelqu’un qui a écrit que le héros de ce livre, Max Aue, sonne vrai car il serait le miroir de son époque « Non ! Il sonne vrai (pour certains lecteurs faciles à blouser) parce qu’il est le miroir de notre époque : nihiliste post-moderne, pour faire court. A aucun moment, il n’est suggéré que ce personnage adhère au nazisme. Il affiche au contraire un détachement souvent critique… en cela on ne peut dire qu’il reflète le fanatisme délirant qui régnait à son époque… cet air blasé revenu de tout, ce mal-être permanent, ce goût pour le raisonnement philosophique, cette amoralité assumée, ce sadisme maussade et cette terrible frustration sexuelle qui lui tord sans arrêt les entrailles… mais bien sûr !... Soudain j’y vois clair : Les Bienveillantes, c’est « Houellebecq chez les nazis », tout simplement. » p. 327.
    Il vous reste à lire ce livre HHhH, suivre avec lui le maillage de ces deux luttes féroces, la littéraire et la politique, en partant d’avril 1931 lorsque Heydrich, traduit en cour martiale, se fait chasser ignominieusement de la marine pour n’avoir pas épousé une fille rencontrée un soir et mise enceinte, —le père de la dite était l’ami de l’amiral chef de la marine. Parti d’une position minable, il devient le nazi le plus redoutable du Reich. On suit la longue montée en efficacité de l’infâme machine de mort faite par des crétins banaux. Jusqu’à la fin, l’attentat et la résistance acharnée (juin 1942) des deux héros tchèques, la trahison et tout le reste au quotidien qui est énorme. L’auteur embarque le lecteur dans sa marche aujourd’hui rigoureuse, douteuse, inquiète et chaotique. On ne pouvait pas espérer moins.